Notre voyage  2018, pour voir la carte cliquez ici

En sortant de l’école

Nous avons rencontré

Un grand chemin de fer

Qui nous a emmenés

Tout autour de la Terre

Dans un wagon doré

Tout autour de la Terre

Nous avons rencontré

La mer qui se promenait

Avec tous ses coquillages

Ses îles parfumées

Et puis ses beaux naufrages… (Jacques Prévert)

 

Article rédigé le 14 septembre 2018 à Bakou (Azerbaidjan)

 

Mardi 4 septembre 2018.

 

C‘était donc parti pour 40 heures de train et  nous traversions le désert.

 

 

 Du sable, des touffes de broussailles grillées, quelques troupeaux de vaches, moutons au milieu de nulle part, toujours gardés par un berger à cheval. Quelques dromadaires broutaient le long de la voie ferrée.

Des vendeurs passaient de wagons en wagons, proposant des chaussettes, des moufles et des ceintures lombaires en grosse laine, de la lessive et autres détergents, des petites culottes, des jouets et des ballons, des chargeurs pour les smartphones…

Vente de chaussettes dans notre compartiment

 

 Pas un qui aurait eu l’idée de vendre des œufs durs ou du riz. Sur les quais il est vrai on pouvait à chaque arrêt acheter des pastèques et autres melons d’eau énormes, 5 kg pièce et plus, faciles à manger dans le train comme on s’en doute. 

Dans la matinée nous observions quelques  vols de mouettes, puis des femmes montèrent dans le train pour vendre d’énormes poissons fumés. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous nous rapprochions de la Mer d’Aral, ou tout du moins ce qui en reste. De loin une ville et quelques installations portuaires abandonnées. Le sol était blanc de sable et de sel. Il y eut quelques hameaux épars, dix maisons, parfois moins, complètement isolées en plein désert. Pas de cultures, pas un arbre. De quoi vivent-ils ? Ce ne sont pas les quelques moutons et les trois chameaux broutant une herbe rase et desséchée qui permettent aux habitants de gagner leur vie …

Puis il y eut une longue pause en gare d’une ville importante. Sur le quai des femmes proposaient, dans de simples marmites, des pilafs, des ragoûts de viande et pommes de terre ou des brochettes.

Il était 15 h. Nous étions partis depuis vingt-trois heures. Nous avions parcouru la moitié du trajet.

Il y eut encore un long arrêt en pleine nuit dans une gare importante que nous supposions être Beyneu, puis régulièrement devant un bâtiment isolé en plein désert ou, tel un gardien de phare, ne semblait vivre qu’un chef de gare. Il agitait son signal, faisait tous les gestes attendus d’un chef de gare mais aucun passager ne montait ni ne descendait, pas une voiture n’attendait, car il n’y avait rien à perte de vue, même pas une route pour venir jusque-là.

 

Peu avant Mangistau, le terminus, il y eut de belles falaises et des collines de calcaire érodées qui rompirent la monotonie du désert.

Pile à l’heure prévue notre train entrait en gare de Mangistau. Tout de suite l’odeur de gaz nous surprit et nous allions voir en effet tout un réseau de gazoducs sillonnant la région. Nous trouvions, non sans avoir demandé au moins dix fois, le hangar où récupérer nos vélos qui, hélas, n’étaient pas là. «  Demain, revenez demain à 11h ». C’est donc en taxi que nous rallions la ville d’Aktau où nous voulions prendre un bateau pour Bakou. Le propriétaire de notre BnB, que nous ne verrons jamais mais auquel nous parlions par téléphone, parlait anglais et nous indiqua le bureau de l’agence où acheter notre billet de bateau. Après une bonne douche nous ressortions pour, dans l’ordre, manger quelque chose et aller à l’agence.

« Café-restaurant » était-il écrit sur un bâtiment dans le cetre de notre cité d’HLM. Nous en cherchions l’entrée. Devant était dressée une grande yourte toute blanche dans laquelle des gens mangeaient. « Restaurant ? » - « Da, da !" Et l’on nous fit signe de nous asseoir sur un banc devant une table chargée de fruits secs et de gâteaux. Du thé au lait nous fut servie puis, sans que nous ayons eu à demander quoique ce soit ni à choisir, une assiette de viande et de frites et un plat de riz. Nous pensions être dans une espèce de cantine. Un homme entonna une prière et tous les convives, en majorité des femmes, s’arrêtèrent de manger et de bavarder, mettant leurs mains en forme de coupe pour recueillir la bonne parole. Quand enfin nous avons pu nous restaurer, je ne pus rien avaler ou si peu – et ce peu me causa bien du tracas tout l’après-midi. C’était tellement gras ! Dany ayant pu terminer son assiette nous nous levions pour prendre congé et payer.  Mais la jeune fille qui nous avait servis nous répondit : « no ! no monay ! Ce n’est pas un restaurant ici ! » Voyant notre air étonné, elle ajouta : « My brother … Sorry, I don’t speak English » et ce fut tout. Non sans avoir remercié nous quittions les lieux en nous demandant si nous étions tombés en pleine fête de famille, ou commémoration de quelque chose, d’un deuil peut-être. Dans l’après-midi la tente fut démontée.

En route pour le centre-ville et le bureau maritime où une blondasse désagréable nous annonça que les bateaux ne partaient plus d’ Aktau mais de Kuryk, 75 km plus au sud. A notre question « quand partira le prochain bateau ? » elle nous répondit : « Allez à kuryk. On vous le dira la-bas. » - «  Il y a un hôtel à Kuryk ? » - « Non ». Résumons : il fallait faire 75 km uniquement pour poser la question et suivant la réponse revenir à Aktau et y retourner le lendemain ? Elle nous tendit un papier avec un numéro de téléphone. Mais, il était évident que personne n’y parlerait Anglais et je lui demandais si elle pouvait appeler pour nous. « Non. Allez à Kuryk ». De retour dans notre chambre nous contactions un membre de Warmshower (forum de cyclovoyageurs) qui voulut bien appeler le port de Kuryk. Un bateau partait le lendemain matin à 7h. C’était beaucoup trop tôt pour nous puisqu’il nous fallait d’abord récupérer nos vélos. Il obtint aussi un autre numéro pour obtenir des informations auprès d’un employé qui parlait Anglais. C’est ainsi que nous apprenions qu’un autre cargo attendu était coincé par le mauvais temps. Et une fois de plus il nous fut dit : « Venez à Kuryk et là vous demanderez tous les matins au port les mouvements des bateaux, et d’ajouter : il y a un hôtel où vous pourrez séjourner ».

 

A 11 h le vendredi nous récupérions vélos et sacoches et revenions jusqu’à Aktau avec un bon vent de travers. A l’entrée de la ville un homme sur son âne conduisait ses quatre chameaux vers un terrain vague, lieu de pâture idéal.

Nous réorganisions nos bagages, allions faire un tour sur la plage où quelques baigneurs ne nous donnèrent pas envie de nager dans cette eau pas très claire, et décidions de prendre la route le lendemain matin au lever du jour, malgré les forts vents annoncés par la météo.

 

Samedi 8 septembre 2018 – Kuryk village – 75 km dont 50 en camion

 

En route donc dès 7 h du matin direction Kuryk. Le vent était fort mais nous y allions tout de même. 7 km/h de moyenne, avec de bonnes embardées sur la route. Ça soufflait ! Mais dès 9 h du matin il devint évident que nous ne pouvions pas continuer. Nous n’avions pas fait 20 km, les nuages s’amoncelaient et la poussière et le sable formaient un véritable brouillard. Les voitures avaient allumé leurs phares. Nous nous arrêtions donc sur le bas-côté de la route et commencions à faire du stop. Certains  conducteurs nous demandaient  si nous avions besoin d’aide mais ne pouvaient pas transporter les vélos. Patience. De l’autre côté de la chaussée, imperturbables, ignorant vent et poussière, un troupeau de chameaux broutait les broussailles desséchées. Alors que nous pensions déjà rebrousser chemin vers Aktau, deux jeunes dans un camion de jerricans d’eau s’arrêtèrent. Vélos et sacoches furent chargés par-dessus la cargaison et nous nous tassions à quatre dans la cabine. 

Ils allaient au port, ça tombait bien. A l’entrée de Kuryk ils tournèrent à droite et 7 km plus loin, sur une piste sableuse devant des bâtiments, nous annoncèrent qu’ils étaient arrivés à destination. Le port n’était plus qu’à 12 km. Le temps de décharger notre barda nous bouffions tous du sable à la louche. Il nous était impossible de continuer à vélo. Nous nous dirigions donc nous aussi vers les bâtiments où quelqu’un accepta de téléphoner au port en quête d’informations. « Aucune navigation pour cause de mauvais temps avant demain soir. » De toute façon il y aurait eu un bateau que je n’aurais pas vraiment eu envie d’être dessus. Il nous fallait donc retourner à Kuryk où il devait y avoir un hôtel. Le temps de rejoindre la route nous comprenions une fois de plus que nous  ne pouvions pas pédaler. C’est tout juste si nous pouvions marcher. Heureusement le premier camion qui se pointa s’arrêta et les vélos furent rechargés à l’arrière. Le gars fut sympa et nous déposa devant l’hôtel, un petit bâtiment avec une dizaine de chambres où il nous fut demandé 25 € pour une chambre avec deux lits et une table, douche dans le couloir. Combien ? Je faisais répéter. Je n’y croyais pas ! A Shimkent nous avions une grande chambre avec jardin et cuisine pour 14€ ! Bon, de toute façon nous n’avions pas le choix. Les autres pensionnaires étaient des travailleurs qui ne payaient surement pas le même prix. Les repas en revanche n’étaient pas chers – 1,50€/personne – mais ne valaient certes pas plus. Dany arriva à manger mais en ce qui me concerne je me bourrais de pain. Quand nous partirons le lendemain la patronne oubliera de nous les faire payer – et nous oublierons de la payer. Dans l’après-midi nous faisions un tour  dans le patelin aux rues de sable battues par le vent, paumé en plein désert. Le vent soufflait toujours et le thermomètre indiquait 30°. Nous ne traînions pas trop et après avoir trouvé deux brugnons et deux yaourts pour améliorer les repas, rentrions prendre notre douche afin de nous désensabler.

Un coup de fil au port d’embarquement situé à 25 km nous apprit qu’il y avait un hôtel et une cafeteria sur place. Nulle trace sur Google Map où ne figure même pas le port, pourtant qualifié par un article sur Internet du port « le plus moderne du Kazakhstan ». Nous irions donc dès le lendemain matin.

 

Les bourrasques de vent furent vraiment fortes dans la nuit et puis le dimanche matin il se calma un peu. Nous partions de bonne heure pour rejoindre le port. Nous avions le vent dans le dos et c’était tout plat. Dans ces conditions je suis toujours partante pour aller au bout du monde. D’ailleurs c’était bien vers un bout du monde que nous roulions, tout droit, sur un ruban de bitume noir dans un désert de sable. Puis il y eut des engins et des barres de béton en travers de la route. Allions nous devoir nous payer de la piste ? Que nenni ! Un conducteur de pelleteuse déplaça l’un des blocs, nous fit signe d’avancer, et referma derrière nous. Facile !

 Nous arrivions au port  sans avoir jamais vu aucun panneau. Soudain quelques bâtiments, trois camions stationnés, un garde qui téléphona quelque part pour nous annoncer qu’il n’y avait pas de bateau. A midi nous étions quatre à attendre dehors devant des bâtiments fermés. 

Sieste sur pelouse synthétique

Je fis à nouveau téléphoner : « le bateau arrivera peut-être vers minuit » et fut ouverte, à ma demande, une salle d’attente où nous pourrions nous mettre à l’abri. L’aménagement n’était pas fini. Des sièges mais pas de toilettes ni d’eau. Pour les sanitaires il fallait s’adresser à la cantine du port, ouverte une heure le midi et une heure le soir. Nous utiliserons finalement ceux de l’hôtel. Bientôt nous fûmes une dizaine d’étrangers à attendre. Deux jeunes Hollandais en voyage depuis un an, un Australien, un Anglais à moto, un Polonais à vélo un septuagénaire Américain vivant à Bangkok. Et puis sur le parking était garé un gros camion aménagé habité par quatre Danois. Nous hésitions. Allions nous prendre une chambre d’hôtel si le bateau devait arriver dans la nuit ? L’Anglais et l’Australien optèrent pour le confort. Les autres dormirent soit dans leur camion, soit, comme nous, par terre dans la salle d’attente. Mais le lendemain matin il n’y avait toujours pas de bateau en vue. Vers 9 h un gars du port vint nous prévenir que nous pouvions aller acheter nos billets. Nous avancions jusqu’au bâtiment à l’enseigne « customer service ». Il y avait là autant d’employés que de passagers, qui jouaient avec leurs téléphones. La Billetterie ? A 1h de l’après-midi. Attendre. Le bateau tant attendu accosta enfin.

Pendant ces longues heures d’attente nous faisions connaissance avec chaque personne de notre petit groupe. Certains avaient des palmarès de villes « visitées » en peu de temps absolument effarants. L’Américain nous cita les villes dans lesquelles il voulait encore se rendre d’ici début octobre, en train et en bateau : Bakou, Bilitsi, Odessa, Cracovie, Pragues, Paris, Londres, Dublin d’où il reprendrait un avion pour les Etats-Unis. Son programme me donnait le tournis sinon envie. Et puis nous relisions nos journaux de voyages des années précédentes si bien que nous ne savions plus où nous étions en levant le nez de la liseuse.

 

Enfin la vente des billets put commencer. Deux employés étaient au comptoir, à recopier laborieusement les passeports, écrire à la main les billets, les photocopier, vérifier que la photocopie était bien imprimée : 15 minutes par passagers. Heureusement nous n’étions qu’une douzaine de passagers en tout, y compris deux conducteurs de camions. Puis nous Avons voulu changer notre argent kazakh en dollars. Encore 15 minutes par client, mais cette fois-ci il y en avait quatre devant nous. Cette lenteur dans le travail, l’inorganisation des employés qui passent autant de temps à chercher le papier qu’ils viennent de poser à côté d’eux qu’à remplir d’autres papelards, cet air d’ennui sur leurs visages fermés, c’était tout simplement exaspérant. Ensuite, eh bien il fallut attendre encore un peu, encore quelques heures, sans avoir aucune idée de l’heure d’embarquement que personne, même parmi le personnel du port, ne semblait connaitre, sans aucune possibilité d’acheter une boisson. Il n’y avait pour tout confort dans cette salle d’attente que des toilettes, ce qui n’était déjà pas si mal. Vers 15 h on nous fit signe de passer la douane. Notre petit groupe patienta là encore puisqu’il fallut à nouveau compter 10 minutes par personne pour obtenir le tampon de sortie du territoire. Nous étions là depuis la veille 10 h du matin.

Nous embarquions, attachions nous-mêmes les vélos, hissions nos sacoches par des échelles jusqu’au deuxième pont et découvrions notre cabine particulière, spacieuse, avec salle d’eau et hublot.

Et soudain le vent tomba, la mer fut un miroir, nous larguions les amarres.

 

Le regard embrassait vers l’Est cet immense désert au-delà de ce port inexistant sur les cartes. 

Ne sachant pas s’il y aurait de la nourriture sur le bateau et ignorant également la durée probable de la croisière, nous nous étions munis de pain, fromage, fruits et soupes instantanées. Mais les repas étaient inclus dans le prix.

Tandis que nous lisions tranquillement dans notre cabine, hublot ouvert, un camionneur turc qui nous avait à la bonne vint nous trouver pour nous parler de la nourriture de son pays dont il avait apparemment la nostalgie. Et il fallut poser notre livre et regarder des vidéos de découpe de mouton, préparation et cuisson au four d’un tas de bidoche qui ne nous faisait guère saliver. Ah ! Parlez-moi d’une bonne spanachopitaou d’un Délice de l’Imam ! C’est incroyable le goût pour la viande de l’homo sapiens ! Mais cela fait partie du devoir du voyageur de se plier aux désirs et offres de ses hôtes, en l’occurrence du désir de ce Turc de partager ses envies gastronomiques après nous avoir offert une poignée de raisins secs.

 

 

Mardi à 10h du matin nous étions en vue de la côte. Le cargot stoppa et nous attendîmes jusqu’à 15h. Quoi ? Une place au port peut-être ?

En toile de fond des plateformes pétrolières. Vu un phoque venu tout droit par la Volga. 

Cette Mer Caspienne est-elle une mer ou un lac ? Un lac, plutôt, le plus grand lac salé du monde, mais certains des pays riverains aimeraient bien que ce soit une vraie mer, la juridiction concernant les eaux territoriales n’étant pas la même dans un cas ou dans l’autre. Or, il est plein d’or noir ce lac ! J’oubliais le caviar vendu jusqu’à 25 000 dollars le kg cette année. Je ne pense que nous le mangions à la louche.  

 

 

Photo de groupe avant de débarquer : une Canadienne, un Israélien, deux Hollandais, un Australien, un Américain et les deux tout petits, ben nous.

Arrivés à 16 h au port d’Alat il nous fallut attendre encore presque deux heures avant d’enfourcher enfin les vélos. L’hôtel le plus proche fut pour nous. Toutes ces heures d’inactivité nous avaient fatigués autant que si nous avions pédalé.

 

C’en était bien fini de l’Asie Centrale. Un nouveau chapitre allait s’ouvrir.