« De l’air, de l’air, poursuivons la transhumance » (Kenneth White)

 

Article rédigé le 29 mars à Pergame

 

 

Nous avons enfin, après un hivernage de trois semaines dans notre confortable petite maison de Patmos, repris le bateau express pour Cos. C’était vraiment idiot de faire demi-tour mais les liaisons maritimes étant rares à cette saison nous n’avions pas trop le choix  pour rallier la Turquie.

Ce n’était vraiment pas prévu de revenir en Turquie. Mais qu’est-ce qui a été prévu dites-moi durant tous ces mois de vadrouille ?

 

Welcome in Bodrum!

 

 

Dès les premiers tours de roues en Turquie nous retrouvions les débris de verre sur la chaussée, les chiens errants en pleine ville et une côte à 20 %. Il faisait un temps d’été et en cette fin d’après-midi et les promeneurs étaient nombreux sur le port à flâner et boire du thé.

 

 Nous avions quitté le pays du café en quittant la Grèce. Car le fameux café turc n’est guère bu en Turquie depuis qu’Atatürk a incité les Turcs à planter du thé et à en boire, ce qu’ils font à longueur de journée. Atatürk ! Ah oui nous l’avions retrouvé aussi, sur des drapeaux géants, en images partout, même dans les magasins souvenirs du quartier à touristes. Les élections municipales devant avoir lieu fin mars, la Turquie était en pleine période électorale. Sono et podium étaient installés sur le port.

 

Nous avions réservé un appartement dans un quartier un peu éloigné et très calme. Cette possibilité de louer des appartements tout équipés souvent moins chers que les chambres d’hôtels nous convient tout à fait. Cette fois-ci nous avions à notre disposition 45 m2 pour 13 €. 

 

 Bodrum est une ville toute blanche, située sur la côte juste en face de l’ile de Cos. Après tout ce que j’avais lu sur le tourisme de masse dans cet endroit je pensais ne pas aimer cette ville. Et pourtant nous avons marché avec plaisir dans les ruelles du vieux quartier, celui qui, encore habité, est parallèle au port et non pas dans cet endroit exécrable de restaurants et boites de nuit derrière le château. 

 

Le château St Pierre et son musée archéologique ! Nous nous étions fait une joie de le visiter. Il était fermé pour plusieurs mois et entouré de palissades. Les ruines du mausolée d’Halicarnasse, tombeau du Satrape Mausole classé parmi les 7 Merveilles du Monde Antique … Il n’en reste quasiment rien, tout ce qui a pu en être récupéré étant désormais au British Museum de Londres. Bon, ce n’est pas grave, il nous restait encore à visiter le magasin Decathlon.

 

Nous avions l’intention de rallier la ville d’Izmir, distante de 300 km, en bus et allions donc à la pêche aux informations à la gare routière. Pêche fructueuse, qu’on en juge : deux compagnies affrètent un bus toutes les heures tous les jours. Les vélos dans les cales ? Pas de problème. Le coût ? 5 € par personne. Et comment nous faisons-nous comprendre ? En Anglais bien sûr, tous les employés parlent Anglais ici. Je ne veux pas dire par là que tout fonctionne mieux ailleurs qu’en France, mais il est indéniable que certains pays sont plus faciles pour le voyageur.

 

Tout de même c’était trop bête de passer si près de Didim et Ephèse, entre autres, sans y retourner. L’idée de pédaler dès le  départ de Bodrum, sur une voie à grande circulation et avec de bonnes côtes ne nous emballait pas. Nous avions besoin de nous remettre en jambe après ces six semaines d’interruption. Il nous fallait sortir doucement d’hibernation. Nous avons donc pris un bus sur une centaine de kilomètres et nous sommes  fait déposer à l'embranchement de la route deDidim. Une petite route qui traversait quelques villages, c’était exactement ce qu’il nous fallait. Nous l’avions d’ailleurs déjà prise cette route, en mai 2013. Et le camping municipal dans lequel nous avions alors passé deux nuits était, à notre grande surprise, ouvert à cette saison. Et si on campait ? Le temps était idéalement doux. La dernière fois, c’était en novembre. Ce matos que nous trimballons pour rien depuis des mois allait enfin resservir. En plantant la tente dans ce grand parc en bord de mer nous avons eu l’impression d’entamer le troisième voyage dans le voyage. 1/ Taïwan-Japon-Corée, 2/ L’Asie Centrale, 3/ retour en Europe par les Dardanelles.

 

Evidemment, oh ! Joies du camping ! A la nuit tombée la circulation sur la route proche devint de plus en plus bruyante.« Mais où c’qu’y vont tous ces cons à c’t’heure ? ». Boules Quies obligatoires.

Plaisir de revoir le temple de Didim au son des grenouilles en folie.

                                      

La route passait par Milet et l’énorme théâtre de cet ancien port désormais à plusieurs kilomètres de la mer. 

Il n’y a pas si longtemps – 2 000, 2 500 ans à peine – on venait encore en bateau au pied de cette cité commerçante. C’est là qu’arrive en se tortillant le fleuve Méandre depuis les hauts plateaux d’Anatolie. 

La baie de Milet

 

 

Mais le sable et les marais ont gagné la partie et pour traverser la baie de 15 kilomètres, il suffit de pédaler sur une route toute droite et toute plate, mais en plein vent sinon ce serait trop facile. 

 

 

 

Et puis nous avons aperçu, perchées sur une colline, les colonnes du temple d’Athéna que nous avions tant aimé il y a six ans. Nous passerons dans la  cité antique de Priène,  pleine de charme au milieu des pins, une grande partie de la journée suivante. 

A 75 km de là, la  ville de Selcük, sur le territoire de laquelle est implanté le site d’Ephèze, était en pleine ébullition aussi par cette température d’été. Tout le monde était de sortie et les voitures et bus de propagande en cette période électorale circulaient sono à fond. 

Nous trouvions un petit hôtel juste à l’orée de la ville, au pied du château

Drapeaux géants turcs et Atatürk sur les murailles du château

 

 

dans un quartier très calme, avec vue sur les vergers de pêchers tout en fleurs et l’unique colonne restant du temple d’Artémis, encore l’une des 7 Merveilles du Monde. Au sommet de la colonne s’était installé un couple de cigognes que nous entendions claquer du bec de notre balcon.

C’est à Selcük que St Jean, après avoir dicté son Apocalypse dans la grotte de Patmos à l’âge de 80 ans, vint finir ses jours. Il y écrivit son Evangile avant de s’éteindre à l’âge de 100 ans. Preuve que l’ascétisme ne nuit pas forcément à la santé. De l’immense basilique construite sur son tombeau avec les pierres récupérées du temple d’Artémis – rien ne se perd – il ne reste pas grand-chose non plus.

 

Passé la journée entière sur le site d’Ephèze.

Des gradins de l’immense théâtre le regard suit l’ancienne rue du port qui se perd là encore dans les marais.

La mer est désormais à quelque dix kilomètres. Il est décidément très facile d’observer le recul de la mer tout au long de cette côte turque, recul dû à la baisse du niveau de l’eau mais également aux terres accumulées par l’érosion des sols déboisés.

On s’extasie devant les restes antiques de cette ville qui compta jusqu’à 200 000 habitants mais à bien regarder les photos prises lors des fouilles fin 19ème, début 20ème siècle, ce qui nous est proposé est une reconstitution, formidable travail des équipes d’archéologues.

 

Les trente premiers kilomètres vers Izmir furent vraiment agréables, dans un paysage typiquement méditerranéen, notre route traversant des villages et, même si le revêtement était grossier et inconfortable, il y eut une bande latérale tout du long pour notre sécurité. Ensuite beaucoup trop de circulation. L’arrivée sur Izmir (4 millions d’habitants) fut vraiment pénible, par une 4 ou 6 voies avec des embranchements de voies rapides sur notre droite (et j’appréciais une fois de plus mon deuxième rétroviseur), des ralentisseurs et des ralentissements, des bus qui s’arrêtent brusquement devant nous, des dolmus (minibus) qui nous serrent, du bruit … bref la totale. « Au  secours, sortez-moi de là ! Je veux retourner à Patmos ! ». Dans le quartier de la gare la plupart des hôtels affichaient « complet » ou proposaient  des chambres basiques, sans fenêtre pour la plupart, pour le prix d’un appartement tout confort 200 km plus au Sud. La majorité des pensionnaires sont migrants, africains mais pas seulement. Tandis que je visitais une énième chambre, un Palestinien confiait à Daniel son désir d’atteindre la Belgique

Vieux quartier d’Izmir (ancienne Smirne)

 

 Déjà saouls de bruit et de monde, nous décidions de ne pas rester à Izmir.

Un ferry nous permit d’éviter de rouler une dizaine de kilomètres en ville en nous faisant traverser la rade d’Izmir. Puis nous avons longé la côte par une piste cyclable, puis nous avons cherché à éviter les grands axes pour rejoindre notre tracé GPS vers Aliaga… et ce fut long. Il y eut des culs de sac, des meutes de chiens très cons – et l’un d’entre eux laissera l’empreinte de ses crocs sur une sacoche -, des canaux nauséabonds, un pont écroulé, 

 

Pas bonne notre idée de suivre la petite route côtière jusqu’à Alyaga. Ce fut 12 km de zone industrielle, camions et engins, chaussée défoncée… Nous n’étions pas vraiment à notre place. Puis nous nous sommes trouvés sur la route express, avec toujours beaucoup de camions mais une bande latérale pour notre usage, et un vent dément. Nous terminions l’étape à Pergame, éreintés, épaules contractées à force d’avoir tant lutté pour ne pas divaguer ou tomber. Il fait froid, pas plus de 10° à l’abri du vent  qui s’est encore renforcé, jusqu’à 50 km/heure, et nous avons  renoncé à visiter l’Acropole tout en haut de sa colline. Patience. Demain peut-être. On vous racontera la prochaine fois.

Article rédigé le 10 avril 2019  à Uzunkopru (Turquie)

Nous vous avions laissés à Pergame le 30 mars  par un vent à décorner les bœufs. Lorsque nous nous sommes enfin décidés à monter sur l’Acropole il soufflait encore assez fort pour nous déséquilibrer.

 

De la cité du roi de Pergame il ne reste pas grand-chose sur place si ce n’est que quelques pans de murailles, quelques colonnes redressées  du temple de l’Empereur Trajan.

De la fameuse bibliothèque qui voulait concurrencer celle d’Alexandrie, rien. Les plus beaux fragments trouvés lors des fouilles sont au musée archéologique de Berlin. Il ne nous reste donc plus qu’à aller à Berlin. Pour la petite histoire c’est ici que fut inventé le parchemin, ce support d’écriture fabriqué à partir de peau  d’agneau ou de chevreau. Bien plus solide que le papyrus égyptien c’était encore un moyen de supplanter Alexandrie.

 

 

Le clou de la visite, ce qui restera dans nos mémoires, c’est le théâtre, raide comme un entonnoir, avec une vue plongeante sur la ville, 350 m en dessous.

Les ruines de l’Asklépéion, sanctuaire du dieu de la médecine Asklepios et  en même temps centre de soins,  sont tout en bas. On croit se promener dans un grand parc, en pleine nature, entre les colonnes, les restes de thermes et un petit théâtre. Le vent y était si fort en ce dimanche que les oliviers et les grands cyprès noirs s’agitaient comme des déments. Et c’était vraiment dommage ces bourrasques glacées parce qu’on serait bien restés plus longtemps dans ce décor bucolique. Nous ne sortions encore pas cette fois les carnets de croquis.

 

La ville nouvelle de Pergame, située dans la plaine, est plutôt inintéressante, mais au pied de la colline et de l’acropole, c’est une vieille ville ottomane avec ses échoppes débordant sur la chaussée, ses restaurants-cantines où l’on peut manger de bonnes soupes et choisir son plat directement dans les gamelles tenues chaudes au bain marie. 

Puis on commence à grimper la fameuse colline à travers un ancien quartier de belles maisons colorées autrefois habitées par une colonie grecque. C’est dans ce quartier que nous visiterons deux maisons d’hôtes un peu moins chères que notre hôtel, dans de belles maisons rénovées, mais pas assez chauffées à notre goût par ce vent glacial. Pourtant les poêles étaient allumées dans les maisons comme en témoignait la forte odeur de charbon et de poussier qui nous rappelait notre enfance.

Léger vent dans le dos sur une route toute plate.  Nous avalions les kilomètres sans effort vers AyvalikAu niveau de Kücüküyü nous bifurquions vers la mer, déchainée et blanche d’écume et restions sur cette petite route, toute bordée d’oliveraies d’un côté, de campings et restaurants de l’autre, pendant une quinzaine de kilomètres.

 

 A l’heure du déjeuner nous demandions l’autorisation d’utiliser les tables d’une aire de camping. Le patron nous invita à nous mettre près de son restaurant, à l’abri du vent, et nous offrit deux bouteilles d’eau. Il avait travaillé pendant cinq ans au Japon pour Honda puis était rentré retrouver sa famille et avait ouvert ce camping-restaurant. Un jeune cycliste turc avec deux petites sacoches et une tente s’arrêta aussi, intrigué par nos vélos. Il n’allait qu’à Canakkale et campait. Camper était bien notre intention mais nous commencions à changer d’avis en apprenant que la température allait chuter dans la nuit à 3°. Il nous fallut monter une bonne côte dans laquelle notre ami turc nous doubla, plus jeune et plus léger que nous, puis ce fut, sur notre gauche, le promontoire volcanique d’Assos, couronné des restes d’une forteresse en grosses pierres brunes. 

Cela ne ressemblait à rien de déjà vu en Turquie ce village de pierres rugueuses et toits de tuiles, et puis ces restes de donjons. Le vent étant de plus en plus froid, c’en fut fini de nos velléités de camping et nous prenions une chambre dans la première pension.

 

Promenade dans la cité antique jonchée de fleurettes jaunes, suivis par le chant du merle. Vue sur la cote découpée de caps pointus de de baies profondes, et, toute proche, Lesbos,  l’ile de Sapho.

Nous avions maintenant quitté la végétation méditerranéenne. A plus de 400 m d’altitude, cela ressemblait plutôt à un causse avec ces pitons rocheux, cette végétation broussailleuse et grise.

Nous avions pensé couper le trajet en nous arrêtant à Ezine, ville sans aucun intérêt sur le plateau. Il faisait beau, la route était belle et facile, une légère brise du SE nous poussait gentiment. Pourquoi ne pas continuer ? Nous avions déjà parcouru 45 km et il en restait autant. Evidemment nous n’avions pas fait 3 km que le vent tourna au Nord et nous fit face. Il y avait maintenant un peu plus de circulation, surtout des camions, mais la bande latérale était si large que nous nous y sentions en sécurité.
Un panneau nous indiqua la ville de Troie à 5 km seulement. Aller à Troie aurait été purement symbolique car nous savions qu’il n’y a pas grand-chose à voir sur place, si ce n’est peut-être la plaine où imaginer les campements des assaillants grecs. Nous passions donc notre chemin, avec quelques scrupules tout de même. Et je pédalais en chantant :

« Nous n’irons pas à Troie

Les Troyens sont tombés

Le cheval que voilà

 

Les a tous zigouillés ».

Au km 69 apparut le détroit des Dardanelles et la côte européenne. 

C’était impressionnant cette Europe géographique où nous allions reprendre pied. J’ai déjà dit en arrivant à Rhodes que nous venions de quitter l’Asie Mineure. Mais ces poussières d’iles grecques, que nous aimons tant, ne sont que des miettes éparpillées de l’Europe (je n’ai pas dit l’Europe en miettes, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit !). Cette barre montagneuse,  c’était le continent lui-même, avec toute cette Europe de l’Est et du Nord qui nous attendait.

L’arrivée dans Canakkale (91 000 habitants) fut facile mais trouver un hôtel dans nos prix où l’on puisse rentrer les vélos prit du temps. C’en était bien fini des appartements à louer pour le prix d’une chambre ! Nous trouvions tout près des embarcadères dans un vieux quartier désormais uniquement occupé de fast-food, kebabs restaurants et cafés, fréquenté par une population très jeune.

 

C’est au petit déjeuner du lendemain que nous rencontrions Juan, Américain d’origine mexicaine. Il voyageait tout seul depuis trois mois à travers l’Europe, consacrant trois semaines à la Turquie. « J’ai loué une voiture et je vais à Troie. Vous voulez venir avec moi ? ». Donc, nous irions à Troie, à trois. Et s’il est vrai qu’il n’y a guère que des soubassements de murs à voir, en revanche il y a foule. 

La mer est plus loin qu’à l’époque d’Hélène mais, comme elle pourtant, je vis arriver la flotte. Et il se mit à pleuvoir. 

Bon, « T’as voulu voir Béthune et on a vu Troie. Mais je te préviens, nous irons bien plus loin… » pouvais-je désormais me chanter, en aparté parce que en fait je chante très faux.

Retour à Canakkale par une après-midi humide et glaciale. Même par ce temps très médiocre il y avait un monde fou aux terrasses des cafés. Les Turcs vivent beaucoup dehors et, par tous les temps, vêtus de manteaux, doudounes et bonnets, se retrouvent entre amis pour boire un thé. Quant à nous, bien logés, bien chauffés, nous attendions jusqu’au lundi pour traverser le détroit.

 

Ce Détroit qui relie la mer Égée à la mer de Marmara, long d'une soixantaine de kilomètres est large d’un peu plus d’un kilomètre seulement devant Çanakkale. Il fut appelé dans l’antiquité l’Hellespont, puis plus récemment « Bras de St Georges », « Bouches de Constantinople ». Les profondeurs n'y atteignent pas 100 m. 60 000 navires y transitent chaque année, ainsi que 100 millions de tonnes d'hydrocarbures. La circulation y est interdite la nuit et la taille des navires est limitée. Le courant y est d’autant plus fort avec la fonte des neiges qui fait monter le niveau de la Mer Noire. Le trop plein s’écoule ainsi vers la Mer Egée par le Bosphore, la mer de Marmara et le détroit des Dardanelles.

Mais je ne peux m’empêcher de citer Chateaubriand lorsqu’il passe dans ces eaux, en route vers Jérusalem, en 1810. Allergiques à un peu de littérature s’abstenir, mais moi je me fais trop plaisir et ça m’amuse trop de relire cette narration, très abrégée pour vous.

« …(Un) mal de tête (…)m'accablait ; mais lorsque, le 21 septembre, à six heures du matin, on me vint dire que nous allions doubler le château des Dardanelles, la fièvre fut chassée par les souvenirs de Troie. Je me traînai sur le pont ; mes premiers regards tombèrent sur un haut promontoire couronné par neuf moulins : c'était le cap Sigée. Au pied du cap je distinguais deux tumulus, les tombeaux d'Achille et de Patrocle. L'embouchure du Simoïs était à la gauche du château neuf d'Asie ; plus loin, derrière nous, en remontant vers l'Hellespont, paraissaient le cap Rhétée et le tombeau d'Ajax.

Les pyramides des rois égyptiens sont peu de chose, comparées à la gloire de cette tombe de gazon que chanta Homère et autour de laquelle courut Alexandre. »

 

(Moi : Quoi ? Mieux que les pyramides et nous n’avons pas vu les tombes d’Achille et de Patrocle ? )

 

« J'éprouvai dans ce moment un effet remarquable de la puissance des sentiments et de l'influence de l'âme sur le corps. J'étais monté sur le pont avec la fièvre : le mal de tête cessa subitement.

 

Tandis que je m'occupais des douleurs d'Hécube, les descendants des Grecs avaient encore l'air, sur notre vaisseau, de se réjouir de la mort de Priam. Deux matelots se mirent à danser sur le pont, au son d'une lyre et d'un tambourin : ils exécutaient une espèce de pantomime. Tantôt ils levaient les bras au ciel, tantôt ils appuyaient une de leurs mains sur le côté, étendant l'autre main comme un orateur qui prononce une harangue. Ils portaient ensuite cette même main au cœur, au front et aux yeux. Tout cela était entremêlé d'attitudes plus ou moins bizarres, sans caractère décidé et assez semblables aux contorsions des sauvages. …A cette pantomime succéda une ronde où la chaîne, passant et repassant par différents points, rappelait bien les sujets de ces bas-reliefs où l'on voit des danses antiques. » 

 

Traversée des Dardanelles en plein brouillard.

Il y avait de l’ambiance sur ce bateau et surtout beaucoup de monde.

Un musicien jouait sur une sorte de tambourin, des hommes chantaient, des femmes passaient entre les voyageurs avec des porte-clefs et autres colifichets à vendre. Un homme âgé s’adressa à nous en Allemand. Il avait travaillé en Allemagne, était allé quatre fois à Paris et vu la « Grosse Eifel Turm ! ». Il ne comprenait pas pourquoi les Belges, les Allemands et les Français n’aimaient pas les Turcs et l’Islam, « il n’y a pas de bombe ici, c’est tranquille ! » Enfin toutes ses réflexions le mettaient en joie et le faisaient bien rire.

Nous faisions nos premiers tours de roues sur le continent européen toujours en plein brouillard. La route longeant la côte le panorama aurait dû être joli, mais nous n’en voyons rien.

Dans quelques jours nous quitterons la Turquie après un séjour de plus de quatre mois. Il nous reste encore deux bonnes étapes avant la frontière bulgare. Voici quelques réflexions :

Nous avons maintenant complètement quitté la mer que nous n’avons pratiquement pas perdue de vue depuis le mois d’octobre, que ce soit en Turquie, à Chypre ou sur les iles grecques. Depuis que nous avons mis les pieds sur cette terre européenne le paysage a changé. On se croirait dans la Brie, plaine céréalière avec quelques plaques de colza à la bonne odeur de miel. Nous avalons les kilomètres sur une route toute droite, sans autre intérêt que de nous faire avancer le plus vite possible. 

Rouler sur les grandes routes à 4 ou 6 voies permet d’être moins importunés par les chiens. Le fossé et les barrières centrales les gênent pour traverser la chaussée et nous courser. Nous voici donc à peu près à l’abri des chiens de la rive gauche. Car ce sont des meutes de molosses qui errent en Turquie, y compris et surtout dans les lieux habités. Ils sont tous tatoués, peut-être vaccinés, mais pas rendus moins cons pour autant. Ce matin ils n’étaient pas moins de douze à la sortie de ville. Et plus les jours passent plus nous avons peur de ces clebs. Daniel à des cailloux dans la poche, moi-même j’en ai toujours un à portée de la main et mon sifflet autour du cou, mais c’est d’une piètre  efficacité et plutôt pour nous rassurer nous-mêmes.

 

(Ceci dit, si nous en avons ras le bol des chiens, c’est aussi ras les oreilles des muezzins. Parmi tous les pays musulmans traversés depuis une dizaine de mois, c’est ici qu’ils hurlent le plus fort. Et puis, vraiment, trop de déchets et tessons de bouteilles sur les routes.

« Regardes moi ça, c’est dégueulasse ! »

 

Ces quelques 1 600  km tout au long de la côté égéenne nous a permis de découvrir l’hospitalité et la gentillesse de ce peuple, la beauté de ses sites grecs et romains.