Article rédigé le 16 février 2019 sur l’île de Symi (Grèce)
Samedi 2 février 2019 - Grand soleil, mer calme, 17° !
Port de Marmaris. Il n’y avait qu’une poignée de voyageurs sur ce bateau qui ne fait à cette saison qu’une traversée par semaine au lieu de plusieurs par jour en été. Les matelots furent aux petits soins pour nos montures.
A l’arrivée, qu’elle ne fut pas notre surprise de voir qu’elles avaient voyagé en compagnie d’un trike bien chargé de sacoches. Une jeune Autrichienne voyageait sur cet engin très bas du cul mais hyper confortable, accompagnée d’un gros chien noir. En fait, nous raconta-t-elle, c’est le chien qui l’avait adoptée et ne l’avait plus quittée depuis Istanbul. Nous discutions sur le quai pendant que le gros de la troupe passait la sécurité et la douane pour nous présenter en dernier, puis nous nous quittions. Et croyez-vous que nous ayons pensé à échangé nos noms et nos blogs, à prendre une photo souvenir ? Non. Nous n’avons décidément pas le déclencheur facile alors que nous voyons autour de nous des gens se faire des selfies à longueur de journée. C’était une rencontre sympathique et nous en nous en souviendrons.
Au contrôle des bagages l’employée me demanda « quelle nationalité ? » - « Française »- « Je m’en doutais ». Elle ne voulut pas me dire pourquoi. Mais quand j’eus déposé deux sacs sur le tapis roulant et qu’elle vit qu’il y en avait encore huit, elle ajouta : « ça suffit. C’est bon ». Et nous mettions nos roues sur Rhodes, en territoire grec. « Kalimera ! »
Le port de Rhodes
Ne pas oublier de retarder les montres d’une heure. Nous avions bien évidemment pensé aussi à ôter le drapeau turc arboré par le vélo de Daniel depuis plus d’un mois ! Mais comme chez les Tuppin rien ne se perd, il avait été découpé pour en faire deux fanions de plus sur nos porte-drapeaux afin d’être encore plus visibles sur la route.
Nous pensions, après ces six mois passés en Asie Centrale puis Mineure, que les prix de la vie quotidienne allaient nous faire un choc en retournant dans la zone Euro. Eh bien pas tant que cela finalement ! C’est très simple. Grosso modo ce qui coûte là-bas 1 Livre Turque (soit 0,16€) coûte ici 1€. Enfin, pas tout, les gâteaux, thé en terrasse et autres petits plaisirs sont passés de 0,16 € à 1,50 €. Pour ce qui est des tarifs hôteliers heureusement la différence n’est pas si grande. Voilà pour les considérations de la ménagère qui surveille son porte-monnaie.
Il était évident que, malgré la « crise » - mais où ne sévit-elle pas ?- nous venions d’entrer dans un pays plus riche : abondance de produits dans les supermarchés, circulation automobile beaucoup plus dense et des voitures plus récentes.
Et puis enfin nous allions être dispensés des hurlements des muezzins cinq fois par jour, agréablement remplacés par des envolées de cloches le dimanche.
Bon. Promenade dans cette cité des Chevaliers entourée d’un rempart de plusieurs kilomètres. Tout était fermé, désert. Ville morte. D’un autre côté, si cela avait été ouvert ce n’aurait été guère intéressant puisqu’il n’y a que des magasins de souvenirs, des troquets et des restaurants.
Nous allions passer deux jours dans la ville de Rhodes, puis une semaine sur la côte SE, à Faliraki.
Cette côte est envahie d’hôtels et l’on comprend pourquoi quand on apprend qu’elle est normalement protégée du vent – mais pas ces jours-ci car plus rien n’est comme d’habitude ma pauvre dame ! – et qu’elle possède les plus belles plages de l’île. C’est franchement assez moche toutes ces infrastructures. Nous tentions une promenade sur la plage, mais bien que le ciel soit tout à fait pur, le vent était tellement fort que nous bouffions du sable à la louche.
Des orages étant prévus pour le soir nous avions rentré les vélos dans le hall. Il ne s’était pas écoulé une heure que Voula, notre logeuse, venait nous dire que le gros arbre sous lequel ils avaient été garés venait de tomber. Il bouchait d’ailleurs la porte d’entrée. Si les vélos avaient encore été sous sa ramure, c’en aurait été fini du voyage à vélo couché.
C’est à Lindos que j’ai eu vraiment le sentiment d’être arrivée en Grèce, en marchant dans ces ruelles étroites, entre façades blanchies et beaux encadrements de portes en pierre sculptée, en montant vers une acropole de pierre blonde au sommet du rocher.
De tout en haut la vue plonge sur les toits en terrasses et la mer turquoise. C’est peut-être un peu trop cliché mais c’est beau.
Par des routes bien tranquilles nous avons roulé à l’intérieur de l’île entre des oliveraies aux arbres vénérables et découvert des bourgades qui continuent à vivre même une fois les vacanciers partis, ce qui est plutôt rassurant.
C’est sous un ciel très menaçant que le bateau quitta le port de Rhodes pour l’île de Symi.
J’étais ravie ! Prendre des ferries pour sauter d’île en île reste pour moi le comble de la liberté. Nous avons longé la côte turque toute proche, rocheuse et inhabitée. Puis à bâbord ce fut notre ile, aride, et nous scrutions ces murailles grises dressées dans l’eau. Et on se demande où peut bien être la faille dans laquelle le bateau se glissera. Et soudain c’est là ! Un miracle de vie, un miracle d’architecture que ce gros bourg aux belles maisons colorées accrochées en amphithéâtre. Superbe apparition et l’on se dit aussitôt que les deux jours prévus ne suffiront pas.
Un jeune gars nous attendait sur le quai. Ou plutôt il attendait deux cyclistes et s’inquiétait de ne pas les voir arriver. Car, comme d’habitude, nous débarquions les derniers, ayant voulu profiter de l’arrivée du bateau dans le port jusqu’au dernier moment. C’était bien sympa d’être venu nous chercher et nous avons suivi sa mobylette par les ruelles jusqu’à notre logis.
Notre hôtel à Symi
Le long d’une ravine l’ancienne voie principale monte en haut du village, toute en escalier, abandonnée depuis que la moto et la voiture ont remplacé l’âne, exigeant une belle route asphaltée, il n’y a donc pas si longtemps. Le cycliste, encore plus rare que l’âne sur ces îles, apprécie pour une fois le progrès si cela en est un. Mais dans ce village accroché aux pentes des collines nous avons laissé nos vélos au garage et ne nous déplacerons qu’à pied. Ce gros bourg abrita jusqu’à 30 000 habitants avant 1940. Sa richesse venait de la construction de bateaux mais surtout de la pêche des éponges. Les pêcheurs d’éponges, ces plongeurs nus, ont la statue de leur héros sur le port.
La grande majorité de ces belles maisons familiales sont désormais fermées, mais certes pas abandonnées. Et si la population de l’ile n’est plus que de 2 500 habitants à l’année, l’été elle passe à 25 000 et plus, mais ce n’est plus une population laborieuse et travailleuse qui anime alors le port et les quais. L’été l’eau manque à Symi qui en importe de Rhodes au prix de 5 € le mètre cube. Amis touristes ne gâchez pas !
Marché en suivant la côte jusqu’au petit port d’Emborio, au fond d’une baie de rocailles, avec son monastère tout blanc plus facilement accessible par la mer qu’à pied.
Silence. Léger clapotis de l’eau, chant de quelques tourterelles. Un figuier met ses nouvelles feuilles. Les amandiers sont en fleurs. Signes de printemps.
Sur le chemin du retour, par les hauteurs, nous avons atteint la chapelle toute blanche d’Agios Giorgos.
La porte n’était pas cadenassée. Entrons. Bonne odeur de cire et d’encens. Toute aussi athée convaincue que je sois, j’aime ces lieux de repos, de retraite ?, de recul ?, bien entretenus, briqués par d’anonymes ménagères consciencieuses, ouverts au visiteur, au marcheur. Les quelques instants que nous pouvons y passer sont ressentis comme un don d’hospitalité.
Et puis marchant dans le labyrinthe de ces ruelles et de ces escaliers qui dessert ces quartiers de grosses maisons accrochées à la pente rocheuse, chacune semblant vouloir jeter un coup d’œil par-dessus sa voisine, nous sommes tombés sur la boutique du Chinois. « Open ».
Vous pensez si nous sommes entrés ! Il y avait un peu de tout, trois crayons de couleurs, deux cahiers, un service à café, une passoire à thé, des piles, des robes de princesses et de mariées pour gamines de trois ans, des culottes XXL, des fringues en ribambelles sur des portants, et deux Chinois, tout seuls, en haut du village, dans un quartier endormi, déserté jusqu’à la belle saison.
Et pour en finir avec la beauté de Symi voici encore quelques photos dans le désordre, prises au hasard de nos balades.
Et une rencontre, un arbre cheval …
Lundi nous changeons d’île. Prochaine étape, Kos.
Article rédigé le 12 mars 2019 à Patmos
Après cette semaine passée dans le village coloré et les petits ports de Symi nous avons eu, en débarquant surKos, l’impression de réintégrer une ville. Nous n’y resterons que trois jours. Les bâtiments sont quelconques, le port sympathique avec son fort moyenâgeux mais ressemblant cependant à n’importe quel port méditerranéen, les restaurants, bars, boites de nuits – heureusement fermés à cette saison pour la plupart – beaucoup trop nombreux. C’est à Kos qu’Hypocrate serait né et l’on peut voir LE platane sous lequel il enseignait, hélas soutenu par un assemblage de ferraille tellement laid que nous avons renoncé à prendre une photo. Nous faisions sur Kos une promenade à pied et deux balades à vélo le long de la côte. Rien d’extraordinaire à voir mais par cette douce température, bonheur des prairies en fleurs, des citronniers surchargés, des vaches dans de l’herbe grasse (bien longtemps que nous n’en avions pas vu), des flamands roses dans les marais … et puis l’odeur de la terre fraichement retournée, du colza en fleurs déjà en février.
Côte turque toute proche de Kos
Ce n’est pas dans nos habitudes mais nous avons pris le bateau express pour rejoindre l’ile de Patmos. Les ferries lents que nous aimons tant ne voyageaient que de nuit ce qui nous aurait fait débarquer à minuit ou, pire, à 3 h du matin. Nous n’avons pas regretté notre choix. Une mer d’huile et une superbe lumière firent de cette traversée d’ile en ile un vrai plaisir. Les escales à Kalymnos, Leros, Lipsi furent très brèves, dix minutes. Juste le temps de permettre un échange de passagers et de colis, et le bateau omnibus relève son plateau et repart, pleins gaz, vers le caillou suivant que l’on aperçoit déjà et où attendent en plein vent quelques voitures et camionnettes, les iliens venus accompagner ou accueillir un membre de la famille – peu d’hôteliers en quête de touristes à cette saison – prendre livraison d’un colis. Ces ferries qui sillonnent la mer Egée et relient toute cette poussière d’iles sont attendus comme autrefois les trains dans les gares de nos campagnes – souvenirs d’enfance. Et, nous en ferons l’expérience, qu’une tempête empêche la navigation pendant quelques jours et les rayons des magasins sont vite pleins de vide.
Aucune de ces iles ne ressemble à sa voisine. Elles diffèrent par leurs formes certes mais aussi par l’architecture de leurs villges. A Kalymnos c’est une véritable ville qui envahit une vallée. Leros et Lipsi sont beaucoup plus petites et l’on regrette déjà de ne pas prendre le temps de les explorer. Les maisons ont perdu leurs toits pentus. A Leros ce sont des cubes encore colorés et puis sur Lipsi c’est le blanc cycladique qui gagne enfin. Cubes blancs, coupoles bleues pour ce rocher dénudé de 15 km2 couronné d’un fort et peuplé de 700 habitants. Voilà qui est bien tentant.
Mais on aperçoit déjà la belle Patmos verdoyante avec sa crête toute blanche. C’est le kastro – ou vieux village- rupin mais constitué de si belles maisons (nous en avions le souvenir) qui grimpe vers le monastère St Jean construit comme une forteresse. Voilà qui promettait bien des promenades. Et nous
Prenions pied sur le quai, avec l’excitation et le plaisir de la découverte du nouveau domaine à explorer. C’est un peu inquiet pourtant que nous prenions la route de Kampos où nous avions osé réserver pour deux semaines. Je crois bien que c’était la première fois en quarante années de voyage.
Tandis que nous avons essuyé tempête sur tempête en Turquie et en Grèce vous vous promeniez parait-il cet hiver en France en tshirt par 20° et plus. C’est à n’y rien comprendre. Nous assistons maintenant à l’explosion du printemps. Les figuiers mettent frénétiquement feuilles et fruits en même temps. Les ajoncs embaument.
A pied, à vélo, nous découvrons les criques et les baies aux eaux bleues pas toujours tranquilles,
par les chemins nous parcourons les collines broussailleuses dans lesquelles cavalent les chèvres,
nous nous perdons dans le dédalle des ruelles aux maisons blanches du kastro autour du monastère.
Arrivée vers le Kastro et le monastère St Jean
C’est à Patmos que fut écrite l’Apocalypse de St jean. Sa grotte ermitage est devenue une chapelle dès l’époque byzantine. Lorsque nous y sommes allés, dans un profond silence, une petite voix nous a fait sursauter : « bonjour ». Une nonne toute en noir était assise dans un coin obscur. Elle nous raconta en Français l’histoire de St jean, nous montra le creux de roche où il posait sa tête, le méplat qui servit d’écritoire à son jeune disciple, etc. Cette moniale, entrée dans les ordres à 19 ans, avait à peu près notre âge. Lorsqu’un groupe d’Asiatiques avec son guide envahit le petit espace sacré nous sommes sortis tous les trois pour bavarder un peu, de tout, de rien, de la Grèce, de St jean, du Chemin de St Paul en Turquie, de la France, du printemps et des fleurs… Et nous nous sommes quittés tout joyeux, heureux de nous être rencontrés, tout simplement.
Dimanche 10 mars c’était le jour du carnaval, le dernier jour où l’on peut encore manger de la viande. Sur la place du village, bien avant le début des festivités, les barbecues étaient prêts à être allumés et la sono déjà bien branchée. Notre maison étant aux premières loges nous avons décidé d’aller faire un tour sur la plage et puis avons suivi le fléchage « Pottery » comme nous y avaient invité quelques jours plus tôt un couple rencontré au supermarché.
Et nous n’avons rien vu du carnaval villageois car nous avons rencontré Nico et Ritza. Ah ! La belle rencontre ! Nico est peintre, Ritza est céramiste et ils habitent une toute petite maison blanche et bleue, ouverte sur une prairie en fleurs avec vue sur la mer Egée. Ceux qui nous connaissent bien savent à quel point nous avons pu être impressionnés ! Cela nous aurait fait baver d’envie il y a quelques années. Plus – ou pas – maintenant. Nous n’avons plus – ou pas encore – l’âme sédentaire. Mais tout de même, quel coup de cœur! Et vous n’aurez aucune photo. Pas pensé à sortir l’appareil tant nous avions de choses à nous dire – en Anglais qui plus est. Nos nouveaux amis nous invitèrent à partager le repas du Lundi Pur. Ce jour est, chez les Orthodoxes, le premier jour de Carême et donne lieu à des pique-nique familiaux, sans viande ni œufs ni laitage. « Pas grave on peut manger du homard pendant le Carême » nous dira un des convives. Car tous les poissons et crustacés sont autorisés. Rendez-vous à 15 h sur la terrasse de la petite maison d’artistes par un temps doux et ensoleillé. Etaient présents une poignée d’amis, tous étrangers installés à Patmos : Carolyn, anglaise et céramiste, Marc et sa femme - dont je ne sais pas écrire le nom – et leur fille, anglais également, et Igor, photographe français. Une sympathique tablée chez Ritza et Nico qui nous régalèrent d’un repas de Carême comme je voudrais en avoir tous les jours : dolmades, tarama, purée de fèves, salade composée, accompagnés d’une galette de pain au sésame, appelée lagana, réservée à ce lundi spécial et halva en dessert.
Le Lundi Pur est le premier jour du Grand Carême dans les Églises d'Orient . Il a lieu quarante-huit jours avant Pâques.
C'est la date qui marque, après le dimanche de carnaval, le début du Grand Carême. Les plus pratiquants des fidèles s'abstiennent de viande, d'œuf et de laitage à partir de ce jour et jusqu'à la nuit de Pâques.
Le jour même du Lundi Pur, les femmes lavent les maisons à grandes eaux pour les débarrasser de toute souillure. Dans les villages, les églises et les habitations sont repeintes à la chaux.
Partout dans le pays, dans les jardins et sur les collines, sont organisés des repas et des pique-niques. On mange des produits végétaux, on déguste la lagana (pain) , sorte de pain traditionnel sans levain. Dans certaines régions de Grèce on peut également voir des milliers de cerfs-volants que font voler petits et grands... C'est le symbole de l'allègement et de l'élévation recherchés par le jeûne. (Wikipedia)
Mais un vent frais s’est levé, le ciel s’est couvert, et aujourd’hui j’écris tout cela, calfeutrée tandis qu’il n’arrête pas de pleuvoir et que nous essuyons une tempête de plus qui devrait durer trois jours. Nous nous plaisons tellement dans notre petite maison que nous avons rallongé notre séjour d’une semaine supplémentaire. Mais les hirondelles sont arrivées ! Il va falloir bouger.